Le Focifère dans la chambre ne chantait guère. Pemphredo observait sa propriétaire, elle-même s’observant dans le miroir, tournoyant, se dandinant par instants, afin d’admirer au mieux la tenue rubis qu’elle porterait le soir, pour une énième réception donnée par l’éminente lignée Wemyss. Elle était la première fille du couple, la troisième née des triplets, et elle savait merveilleusement bien se servir de son statut de ‘dame’, comme elle aimait à le dire, pour que ses moindres désirs soient exaucés. ‘Je veux’, fut sans doute la première phrase exprimée par la blonde, avant même ‘père’ ou ‘mère’. ‘Non, je veux’, des mots si souvent répétés qu’ils étaient coutumiers. Du haut de ses onze ans, la princesse n’avait jamais manqué de rien, tous ses vœux étaient exaucés, toutes envies accordées. Elle était une Wemyss, et diable qu’elle était douée pour le montrer. « Crois-tu que cela me sied bien ? » demandait-elle à un garçon pas bien plus âgé, discrètement prostré dans un coin de la pièce aux couleurs pastels et aux odeurs sucrées. Il était son plus beau cadeau d’anniversaire, un cadeau qui creusa sans doute un peu plus le gouffre financier d’une famille qui savait parfaitement le cacher. Erinyes n’en avait d’ailleurs aucune conscience, protégée de tout, dans une bulle équivalente à un conte de fée. L’innocente enfant voyait le monde comme un univers parfaite dirigé d’une main de fer dans un gant sanglant, pour le bien de tous – tous se limitant à l’époque à elle-même, le véritable centre du monde. « Hé bien, je te pose une question ! » rappelait-elle déjà à l’ordre alors que l’interpellait sursautait, sûrement terrifié par ce nouvel environnement dans lequel on l’avait posé, de force, le matin. « Oui.. oui.. mademoiselle. » Un sourire rayonnant vint accueillir cette voix entendue pour la première fois. La petite était ravie de constater que son nouveau jouet n’était pas muet et qu’elle pourrait partager avec lui toutes ses fantaisies. Dans sa parure lumineuse, la si pure s’approcha de l’esclave pour venir s’agenouiller face à sa silhouette frêle, accentuant inconsciemment cette différence qui séparait les enfants. « Tu sais.. ta tenue, elle ne va pas. Je vais demander à père de m’acheter de beaux vêtements pour toi. » Il ne comprit bien évidemment pas l’attention de cette créature qu’il considéra bien vite comme une fée, une si belle créature en son imaginaire original ne pouvait être qu’une fée. « P-pourquoi ? » Un claquement de langue et un rire cristallin plus tard, elle lui tendit une main amicale, qu’il se refusa à toucher. « Parce qu’à partir de maintenant tu vas me suivre partout, et je ne veux pas paraître avec un être mal vêtu, mal éduqué. » Le Focifère dans la chambre ne chantait guère. Mais l’esclave déjà apprenait à sourire d’une manière bien plus légère.
« Tiens-toi droit. » ordonna la gamine, d’un ton ferme imité de son père, alors qu’elle faisait face à son esclave. Elle ne voulait pas d’une serpillière, car si on lui avait choisi un garçon, c’était pour qu’on la serve autant qu’on la protège, et ça Erinyes l’avait bien compris. Voilà quelques semaines qu’il était présent entre les murs du manoir Wemyss, quelques semaines qu’elle passa la plupart du temps enfermée auprès de son ‘jouet’, dés lors éduqué. Si elle se comportait comme une enfant gâtée et orgueilleuse, l’envers du décor montrait une petite fille aimant à s’amuser, intelligente, assez rusée pour être dure en société, et si tendre, attentionnée, dans son jardin secret. « O-oui, miss Wemyss. » Un regard sévère indiqua une erreur qu’il fut incapable de corriger, si peu sûre de lui, si bien formaté à une soumission silencieuse, or la blonde ne le voulait pas silencieux, il lui serait inutile dans le cas contraire. « Sois plus sûr de toi. Tu ne dois que peu parler, mais tu dois le faire bien ! » Sévère professeur, elle tenait particulièrement à ce que son esclave soit le meilleur de tous, dans le monde magique l’on en verrait pas de plus beau, pas de mieux vêtu, pas de mieux élevé, et c’était là l’unique but d’une gosse qui avait déjà tout. Être la meilleure, avec ferveur et à l’encontre des règles établies, voilà ce qu’elle voulait. Mais à onze ans on ne peut concevoir certaines idées, certaines contraintes. Elle pouvait avoir intégré la notion de faux semblants, de beauté, elle était cependant loin d’imaginer combien tout était aussi complexe que douloureux.


Le Focifère dans sa cage aurait aimé chanter. La princesse lentement descendait les escaliers, toujours suivie par un homme au charme certain, vêtu comme il se devait d’un costume confortable, dans la classe et l’élégance accordée à ces hôtes sans égal dans le Conseil. Dans sa robe noire d’encre, elle se mouvait aussi gracieusement qu’une danseuse aérienne jusqu’aux plus prestigieux invités de la soirée, car c’était toujours ainsi qu’elle fonctionnait ; et muet derrière, l’esclave suivait. Chacun s’était habitué à voir ce duo fort étrange, la tolérance de Garthain Wemyss visiblement plus grande envers les caprices de ses filles qu’envers ceux de ses fils, plus rigidement éduqués. « Meydusa.. c’est à se demander pourquoi vos parents vous ont affublé d’un tel prénom tant vous semblez être apparentées aux nymphes elles-mêmes. » Personne ne s’intéressait jamais à ce que pouvait ressentir le jeune homme, toujours si près d’elle, garde du corps suprême qui n’hésitait pas à user des poings pour défendre la belle, si bien que personne n’en percevait le regard jaloux lorsque des coqs richissimes s’amusaient à la séduire. Elle se contentait d’esquisser un sourire malicieux, joignant devant elle ses deux mains gantées de soie pour lancer une petite réplique de son crût. « Parce que sous mon regard azur et mon charme certain se cache un doux venin que je n’hésiterai pas à faire glisser au creux de vos veines si vous osez encore une telle flatterie, monsieur. » En toute politesse, avec l’air angélique dont elle usait avec doigté, Erin se plaisait à éconduire les hommes pour mieux les entraîner dans les coins secrets du manoir, s’adonnant au plaisir comme étaient réputés le faire les Wemyss. Fervents adeptes des excès, ils en avaient dilapidés leur fortune, n’en laissant toujours rien paraître, s’engouffrant toujours plus dans les dettes. Pour contrer cette terrible chute, Garthain s’était finalement résolu à travailler, et avec une capricieuse comme sa fille, il n’avait pas d’autre choix. Freya elle, préférait encore se pavaner, jouant autant que la gamine avec son charme et son nom. Sans doute étaient-elles en compétition, car quand les formes de l’unes devenaient moins désirables, l’autre réveillait les éclats mutins des sens masculins. « Ouuuh, mais c’est qu’elle est brûlante, la méduse ! » Lui avait répondu son enflure de camarade. Il était à Poudlard et tous deux s’adonnaient à d’étranges mises en scènes pour mieux se retrouver. Il était de ceux qu’elles n’avait pas encore voulu officiel mais qui sûrement s’ajouterait à la liste.. au grand damne du beau brun, dans l’ombre. Un beau brun à qui un simple signe de tête en direction de la salle à manger était adressé afin qu’il suive sans discuter un mouvement bien déplaisant. En haut déjà, le Focifère rêvait, loin du social et de ses guerres.


« Hé, Miss Gryffie ! » Ses pas s’arrêtèrent net pour lui permettre de se retourner. Dans les couloirs de Poudlard, elle était l’originale aux cheveux si changeants qu’on finissait par ne plus savoir si elle était rousse ou blonde de naissance. Elle aimait à perdre les gens avec des subterfuges enseignés par sa mère lorsqu’elle était plus jeune. L’apparence était l’essence même de ce qu’était sa famille, elle y faisait donc honneur même si le rouge de son blason détonnait avec ceux habituellement accordés aux siens. Elle n’avait en rien l’air d’une courageuse, d’une brave prête à sacrifier sa vie, et peut-être son parfait garde du corps était-il le seul à savoir combien son cœur pouvait être doux derrière le venin et la glace servant à le protéger. « Grandiose la dernière fiesta ! » Mh. Oui. C’était un fait, mais elle ne voyait pas en quoi cela pouvait justifier qu’on la stoppe au beau milieu d’un couloir. Elle avait d’autres chats à fouetter. D’interminables discussions à poursuivre avec le jeune homme que tout le monde regardait d’un drôle d’air tant il finissait par ne plus coller à l’image de son rang. « Certes. » Courte pause tandis qu’elle croisait les bras, toisant le sorcier planté face à elle comme le piquet tentant de retenir un filet du diable. « Autre chose ? » « Je euh.. » Un imperceptible sourire s’était simultanément dessiné sur les lèvres des inséparables attendant patiemment la suite. Tous deux savaient combien il était détestable de se trouver devant un être incapable d’aligner correctement deux mots. Son âme de lionne, le Choixpeau ne l’avait certainement pas perçue dans le présent, en revanche il avait capté ce qui, dans l’esprit rebelle de la trop bien née, pouvait être les prémices d’une révolte probable. Sage, froide, malicieuse, sauvage, mordante et venimeuse, elle portait en son cœur la volonté de changement et une soif de véritable liberté, car aussi prétentieuse et hautaine puisse-t-elle paraître, il n’en demeurait pas moins qu’elle se sentait forcée de ne fréquenter que certaines classes sociales, pourtant parfaitement lucide sur le fait que le sang ne fait en aucun cas l’intérêt. « Tâches donc de retrouver ta langue avant de venir encore me parler. » Siffla-t-elle avant de tourner les talons, suivie de celui qui était surnommé par ses frères ‘le fidèle toutou’, ou tout autre qualificatif du genre. Elle ne disait rien, n’en pensait pas moins.. et seul le Focifère dans sa cage doré demeurait témoin de cette étrange complicité. Que le monde s’écroule ou que la fortune s’écoule, auprès de lui toujours elle se sentait écoutée, aimée comme sécurisée.