C’est tout de même dingue la vitesse à laquelle un enfant grandit. Je veux dire par là qu’on l’a tous vécu, ce moment où on veut être plus grand. Puis un jour, on arrive à un âge ou on regrette l’enfance, et par la même occasion lesdits moments où on ne souhaitait que de grandir. C’est le pessimisme humain, ça. Le pire, dans tout ça, c’est que le juste milieu n’existe pas. Un jour tu veux être plus vieux, et le lendemain matin tu regrettes déjà. C’est terrible. Puis, il n'y a même pas de sort pour y échapper.

A à peine une trentaine de minutes de Florence en balais, derrière les collines de la Toscane, existe un château. Extérieurement, c’est juste un tas de ruines – un énorme tas de ruines – traversé par un petit ruisseau. Aucun moldu ne s’y aventure jamais, car la demeure est source des pires légendes de torture imaginées. On dit que, depuis des siècles, la famille Massarotti, à l’image du Marquis de Sade, enlève les jeunes orphelins et bons à rien peuplant les rues des villes de notre région et que, une fois dans leurs filets, plus personne ne peut savoir où les retrouver. Cette légende est à moitié fausse dans le sens où se ne sont pas nécessairement des orphelins qui sont repris, seulement les pauvres jeunes. Parfois, ils sont rachetés à leurs parents pour une bouchée de pain, mais bien souvent ils sont juste attrapés par les rafeurs et jetés dans nos caves. De père en fils, la tradition s’est perpétuée ; bien qu’au début, nous n’étions qu’un clan parmi les autres à revendre des petits italiens, le marché s’est agrandi et, à présent, c’est mon père qui gère toutes les entrées et venues d’esclaves. Et bien évidemment, ce métier lui venait de son père – même si c’est pôpa qui a inscrit notre nom dans l’histoire grâce à notre grande implication dans la guerre – et il a toujours été gravé dans nos murs qu’il me reviendrait de droit. Et puis ensuite, à mon fils. Et c’est dans cet unique but que j’ai été conçu ; Nicola-Franco, l’héritier Massarotti.

C’est le dix-sept juillet mille-neuf-cent-quatre-vingt-treize que je suis né. Dans la chambre de ma mère, toujours dans la demeure de Florence, bien qu’il fût des années où mon père élargissait nos réseaux à Londres, où se tenait déjà les bureaux de notre société ainsi que l’espèce de « prison » (nous, on appelle ça l’entrepôt) où on faisait dormir notre bétail. C’est un endroit assez malsain, qui sent le renfermé, assez sombre, avec une grande double-porte qui donne sur la rue, toujours surveillée (de l’intérieur) par des gardes, puis une porte beaucoup plus petite, de l’autre côté, qui donne sur une cour. Là-bas, les esclaves peuvent se dégourdir un peu les jambes, les jours où on ne les envoie pas au marché. En général, ils ne font pas long feu chez nous. Ceux qui ne sont pas vendu en deux mois sont, bien souvent, zigouillés. Avada Kedavra puis on les brûle. Il y a des pièces latérales : une grande, avec tables et bancs, où on leur sert la nourriture (un repas par jour, aux alentours de quatorze heures) et une autre, plus petite, où quelques pommeaux de douche leur permettent de se « laver ». Une fois par semaine. Il y a aussi un urinoir commun, une espèce d’énorme banc de pierre avec des trous dedans, et croyez-moi, c’est pas la gloire. Si j’arrive à tout détailler de la sorte, c’est parce que tout ça fait partie de la formation pointilleuse que mon père m’a infligée depuis mon plus jeune âge. J’ai eu le droit de choisir mon premier esclave à l’âge de cinq ans. Calvin m’a suivi jusqu’à mon entrée à Poudlard, où j’ai décidé moi-même d’éteindre sa misérable vie pour pouvoir me décider d’un meilleur choix. Tout ça, ça fait partie de ce que mon père a fait de moi. Il m’a toujours appris à n’avoir aucun respect – envers les moldus comme envers les sang-mêlés ou même envers le reste du monde. Ce qui est attribué comme pêché dans les mœurs des autres, je les considère comme étant mes vertus.

Le seul respect qui m’a été imposé, et ce depuis mon enfance, c’est celui qui doit être dirigé vers la famille. Et ma famille, à moi, se compose non seulement des Massarotti – mes parents, mes sœurs – mais aussi des Lombardi. Le père, chef de la bourse, a été depuis son plus jeune âge le meilleur ami de mon père. Le pont séparant le ruisseau qui juxtapose ma maison nous relie justement à leur villa, aux Lombardi. Et voyez, quand nos pères ont appris à quelques mois d’intervalle qu’ils allaient être pères, ils se sont directement imaginés une continuité. Chacun un fils, tous deux meilleurs amis, qui reprendraient les affaires familiales chacun de leur côté mais qui ne cesserait de vivre la même chose. Alors, la surprise fut de voir non pas un mais bien une Lombardi sortir de la femme de mon « tonton ». Et c’est un tout autre futur qui s’est tracé entre Teodora et moi. Comme mon père, Téobaldo de son prénom, se faisait déjà surnommer Teo, on a décidé d’appeler Teodora « Teddy ». Le plus beau prénom du monde.

Petits, nous avions l’habitude de passer notre temps ensemble. Nous provoquions notre magie, bien souvent sans résultat, en jouant dans le jardin. Déjà dès lors, nous étions liés de ce sentiment bien particulier. Elle était comme ma sœur, mais ne l’était pas réellement. On s’est embrassés pour la première fois quand nous avions sept ans. C’était très symbolique, nous nous trouvions sur le ponton qui relie nos deux maisons, celui qui passe au-dessus du ruisseau, et qu’on a entouré d’une protection magique contre la pluie et les bestioles indésirables… Nos familles étaient unies plus que jamais. Et on a toujours su, même avant ce baiser, qu’il était impossible d’envisager un futur séparé. Elle était à moi. Par contre, la réciproque n’a jamais été telle.