On avait tous une charge à nos pieds, cette force qui vous entraînez perpétuellement vers le fond du gouffre, qui vous empêchez de toucher le bout des étoiles. Toi, tu traînais un fantôme comme d’autres charriaient un regret, un acte manqué ou une histoire passé. Un fantôme comme seul vestige d’une relation, un fantôme qui réveillait dans ton petit cœur des souvenirs trop douloureux. Je voyais les cicatrices de ce lien, craquelés tes yeux. Il n'y avait plus cette flamme étincelante dans tes beaux iris miels, cette flamme taquine léchant mon orgueil jusqu'à l'anéantir ne laissant plus que tendresse. Il y avait quelque chose de cassé à l’intérieur de toi. Toi, tu n’y voyais que la moisissure et le givre, moi j’y voyais juste une blessure qui demandait à être pansée. Tu ne demandais plus après lui, depuis longtemps, tu avais fini par comprendre. Les mensonges se déformaient facilement quand on choisissait de regarder en arrière. J’aurais préféré que tu restes dans le doute, dans l’attente. C’était moins déchirant que d’observer les rouages de ton esprit assemblé les parties du puzzle... Tu te rappelais du feu dans le jardin, tu te rappelais des ombres sur les visages des autres esclaves, tu te rappelais de ton père et ce sourire inquiétant qui avait fait trembler tes entrailles. Maintenant, tu le savais Bjorn n'était pas parti, il ne s'était pas enfui comme on te l’avait si souvent raconté. C’était des fables, des histoires pour t’aider à t’endormir le soir. Tu n’aurais pas dû être si naïve, croire que tes actions n’avaient pas de conséquences, mais on est conne à onze et demi. On ne réfléchit pas, on laisse parler le cœur et on ne connait pas encore la rigidité de la raison. Tu te souvenais de lui, de combien ses yeux t’avaient semblé éteint la première fois que tu l’avais vu. Tu te souvenais de ses mains fines et de son corps trop frêle. C’était un esclave… ton esclave… Bjorn. Un miséreux, un sang-impur qui avait réussi, en l’espace de quelques mois, à faire fondre ton cœur de petite fille. C’était ton seul ami. Un esclave et une héritière, quel beau couple vous formiez. Deux gamins, à l’aube de l’adolescence, qui se cachaient des autres… Où que vous ailliez, il y avait les murmures et le petit mur qui protégeait votre secret défendu se fendait un peu plus. Tu pouvais le sentir. Et puis, il y avait les regards de ton père, ces regards qui te disaient qu’il savait tout. Tu vivais dans le péché, mais c’était le péché des adultes, pas le tien… Et puis, il y avait eu ce matin où l’on t’avait annoncé qu’il était parti, ce fameux mensonge qui t’avait tenu droite pendant des années. Tu avais pleuré, à l’abri des regards, dans ton lit, ton cocon. Tu lui en avais voulu de t’avoir abandonné. Pauvre idiote… Il était mort. On l’avait jeté au feu comme un vulgaire morceau de bois, par ta faute. Ils l’avaient tous regardé brûler, c’était un avertissement de ta famille... Comment avais-tu pu croire qu’il s’était enfui ? C’était seulement dans la mort, que l’on pouvait quitter quelqu’un comme ton père.

Tu connaissais la vérité maintenant que tu étais assez grande pour comprendre le vice des adultes. Et pourtant … pourtant tu avais fini par revenir la première te lover contre ton père, incapable de supporter son indifférence. Tu avais besoin d'exister pour lui, besoin de ses yeux sur toi, de sa voix lourde… Même si il t’avait pris, voler ton seul ami. Même si il l’avait exécuté comme un chien. Même si, c’était plus un monstre qu’un homme. Parce qu’il ne te restait plus que lui et qu’à vous deux vous formiez une famille, une famille bancale certes, mais une famille quand même. Alors tu t’en foutais bien qu’il ne t’aime pas, tu aimais assez pour deux. Et l’amour qu’il ne te donnait pas, tu le trouvais ailleurs… A Poudlard, tu ne racontais jamais ton histoire. Lorsqu’on te demandait pourquoi tu n’avais pas d’esclave attitré, tu te contentais de sourire et personne ne cherchait à en savoir plus. Après tout, tu avais gagné une certaine réputation dans l’école. Tu étais l’héritière modèle, la future épouse parfaite. Tu étais le blanc immaculé, alors pourquoi chercherait-on des failles, des taches où il ne pouvait t’y en avoir?